ÉGYPTE ANTIQUE - L’art égyptien

ÉGYPTE ANTIQUE - L’art égyptien
ÉGYPTE ANTIQUE - L’art égyptien

Trois mille ans avant Jésus-Christ, au début de l’histoire d’Égypte, bâtisseurs, sculpteurs et orfèvres de la vallée du Nil élevaient des monuments de brique ou de calcaire, sculptaient le schiste, l’ivoire ou l’albâtre, taillaient le marbre, sertissaient les pierres précieuses, les dessinateurs éternisaient la silhouette de l’homme et les mille formes de la nature et de la vie, en une surabondance d’objets et d’images que, près de cinq millénaires plus tard, on ne se lasse pas d’admirer. Dès cette haute époque, en effet, la civilisation égyptienne, la plus ancienne actuellement connue, fleurissait sur les bords du Nil, depuis la première cataracte jusqu’à la Méditerranée; l’art s’y épanouissait, déjà pleinement constitué, avec son complément organique, l’écriture.

Civilisation d’une exceptionnelle pérennité qui, pendant les trois mille ans de son âge historique, continua à bâtir suivant les mêmes grandes lois, à sculpter et à dessiner selon les mêmes principes essentiels. Style égyptien d’une rare constance, d’une permanence obstinée, mais aussi d’une grande originalité: si telle de ses œuvres est aisément reconnaissable, elle ne se laisse pas pour autant immédiatement saisir. Art qui, plus qu’aucun autre peut-être, est la conséquence absolue, inévitable du milieu géographique dans lequel il est né et du système de pensée qui en élabora les formes et les modalités.

1. Les constantes d’un art pérenne

Le fleuve et son pays

L’Égypte, c’est le fleuve Nil essentiellement, et les quelques terres cultivables qui, de part et d’autre de son cours de 1 000 km, constituent ses rives – 10 km de largeur au maximum – avant les déserts qu’accidentent la falaise libyque à l’ouest, la chaîne arabique à l’est; et, soudainement, l’épanouissement final, le large éventail des sept branches du Delta qui, d’Alexandrie aux frontières du Negueb, ouvre sur la mer Méditerranée.

Le grand chemin d’eau qui fait l’unité fondamentale du pays est aussi cause de sa dualité seconde que l’histoire a toujours soulignée: la Haute-Égypte (d’Assouan à Memphis), vallée encaissée sur 800 km, au climat rude, que parcourt le fleuve venu des profondeurs de l’Afrique, est un pays d’hommes rudes, agriculteurs et artisans; certes, des vallées latérales (ouadi desséchés) la mettent en relation avec les oasis de l’Ouest, la piste du Ouadi Hammamat l’unit à la mer Rouge à l’est, mais c’est plus naturellement vers l’Afrique qu’elle se tend – tandis que la Basse-Égypte (le Delta), vaste plaine marécageuse, large mais peu profonde (200 km), pays de climat doux, à la population plus dense d’agriculteurs, de pêcheurs, de marins, de commerçants dans les ports de la côte, de bonne heure en relation avec l’Asie puis l’Égée, se rattache à tout le système méditerranéen. Pays double (qui créera deux grandes écoles de style), à la charnière de l’Afrique et de l’Asie dont il subira les deux influences.

Son milieu géographique semblait aussi prédestiner l’Égypte aux travaux des artisans, tant était grande sa richesse en matériaux variés, richesse tôt accrue par toutes les ressources des terres dépendantes, puis de l’Empire. Les pierres: les artistes égyptiens trouvaient sur place le granit rose dans les carrières d’Assouan, le grès en Haute-Égypte, le schiste au Ouadi Hammamat, l’albâtre à Hatnoub, le calcaire dont les carrières sont plus nombreuses au nord, d’autres encore (basalte, diorite, serpentine, porphyre, stéatite) que recélait le sol du pays; cependant que la brique constituait un matériau peu coûteux et aisément réalisé avec le limon du Nil. Les bois: palmiers, sycomores, acacias sont communs en Égypte; de l’Empire d’Asie (de l’actuel Liban), on faisait venir les beaux conifères, et de Nubie, le prestigieux bois noir, l’ébène. Les métaux: l’Égypte et la Nubie étaient terres de l’or, ce quartz aurifère que des caravanes allaient aussi chercher au Sinaï ; Nubie et Sinaï (de bonne heure sous protectorat égyptien) fournissaient également le cuivre. Les pierres précieuses, d’une admirable profusion: malachite, turquoise, émeraude des mines orientales; améthyste, cornaline, jaspe des territoires de Nubie; le beau lapis-lazuli, tribut de l’Asie. Une richesse de légende.

Le paysage quotidien

Mais un pays, lorsque l’on considère le développement de son art, n’est pas seulement un ensemble géographique naturel, influencé par telle condition donnée ou l’exemple de tel ensemble voisin, ce n’est pas seulement un sol et un sous-sol plus ou moins riches en matériaux offerts aux techniciens, c’est aussi, peut-être surtout, un paysage quotidien, un ensemble de lignes familières qui modèlent, jour après jour, la sensibilité de l’artiste, et déterminent, consciemment ou non, ses moyens d’expression essentiels. Le paysage d’Égypte est incomparable: un plat pays, à l’horizon illimité; quelques collines à l’ouest et à l’est, mince accident dans cette démesure lisse du désert, aux sables rutilants, qui entraîne la vue, sans fin; comment les architectes d’Égypte pourraient-ils bâtir autrement qu’en taille colossale, dans cette immensité naturelle? Un plat pays, où domine la plus pure simplicité de lignes: deux grands axes d’orientation, droits, géométriques: du sud au nord, le Nil; de l’ouest à l’est, deux larges zones de déserts que scinde, à la perpendiculaire, l’étroite et florissante vallée. Paysage aux proportions et aux rapports justes et harmonieux, soutenus par un équilibre analogue de couleurs: «la noire» et «la rouge» (nom traditionnel de l’Égypte) opposant de même le sombre et riche limon du fleuve au sable roux des déserts (domaine des forces malfaisantes). La ligne droite est dominante, la ligne courbe, rare, douce: sinuosité lente, parfois, du cours de la rivière, mol arrondi d’une colline au loin. Le sculpteur et le dessinateur égyptiens s’abandonneront, qui aux suggestions des volumes simples, aux contours géométriques fermés et disposition réfléchie des membres, qui aux sollicitations de la ligne droite; la beauté, pour eux, relevant avant tout d’un juste rapport des masses, d’un équilibre harmonieux des formes. Un pays éclatant de lumière, d’une lumière intense, sans ombre, où chaque teinte prend un brillant incomparable, sans nuances; le peintre égyptien n’utilisera qu’un petit nombre de couleurs, franches. Un pays, enfin, où les hommes, cernés par les déserts stériles, rassemblés au bord du fleuve qui leur dispense les moyens d’existence, prennent toute leur valeur et développent un émouvant, exubérant amour de la vie (dont témoigne cette immense imagerie des tombes, déroulement foisonnant et coloré des mille aspects de la vie quotidienne), un sens profond de la gaieté et de l’humour.

La pensée religieuse créatrice d’un art

Pourquoi cette abondance de monuments, d’objets, d’images, plus qu’aucune autre civilisation n’en a prodigués? Certes, les temples, les chapelles, leurs statues divines, leurs bas-reliefs commémorant les rites du culte ou les victoires de Pharaon mené par le dieu sont autant d’actes de foi envers ces divinités qui, diffuses dans toute la nature, sont les éléments fastes du monde (la vache nourricière et féconde, le sycomore qui donne son ombre à l’heure chaude du jour, le soleil qui recrée la vie à chaque aube...) à qui l’on prouve ainsi sa reconnaissance, ou les éléments néfastes (lionne, serpent...) qu’il faut se concilier. Premier élan naturel de l’homme vers qui l’aide ou le menace, dans un monde dont il faut capter à son profit les forces naturelles.

Mais pourquoi ces tombes (pyramides royales, mastabas, tombes rupestres, hypogées), de taille immense parfois, et dont les parois sont couvertes d’inscriptions, ou de bas-reliefs et de peintures, scènes joyeuses et colorées qui fixent pour l’éternité tous les moments de la vie dans la vallée, pourquoi ces innombrables statues dans les chambres funéraires ? Tout cela n’est point monument commémoratif, ni images à regarder passagèrement: peut-être chef-d’œuvre de la technique, mais secondairement; essentiellement, sortilège technique, immense appareil magique de résurrection. La pensée égyptienne avait élaboré tout un système destiné à assurer, sans faute, la vie éternelle: au roi seul d’abord, puis, avec l’expansion du culte d’Osiris et l’exemple de sa résurrection, à tous les hommes qui seraient mis en mesure de revivre sa passion; et, durant la vie, on s’affairait à tout mettre en ordre pour que la mort ne fût qu’un bref instant d’anénantissement, un passage vers une éternité que l’on préparait à l’image de la vie quotidienne sur terre. L’enveloppe charnelle, le corps, réceptacle invariable des éléments vitaux, devait être préservé de toute corruption: on l’embaumait, on le momifiait, on le garantissait de tout dommage éventuel en le plaçant dans une cuve de pierre, plus tard dans un sarcophage de bois, à l’intérieur d’une tombe couverte d’une superstructure de pierre, dans l’abri secret d’un caveau souterrain – ou au cœur de la chambre funéraire d’un hypogée rupestre. On pourvoyait à l’entretien des forces vitales matérielles (le ka ) par l’apport journalier des offrandes funéraires (nourritures et boissons). Leurre, cependant, que cette vie préservée, mais diminuée. Un autre élément de la personnalité humaine intervenait alors, mobile celui-là, le ba , qui rassemblait les éléments spirituels de l’être: petit oiseau à tête humaine, dont les pattes se terminaient par des mains, vagabond aérien, il rapportait à tire-d’aile au corps, préservé et nourri, les souffles rafraîchissants, vivificateurs, de la vie terrestre. Survie encore limitée. La pensée égyptienne y pourvut par l’institution des «corps de rechange», découverte ultime, immense, de ce peuple païen de magiciens et d’artisans, qui allait donner à l’art sa raison d’être essentielle, commander avec précision ses modalités et permettre ce génial développement que nous connaissons; le ba , en effet, pouvait aussi se glisser dans les statues ou les images sculptées ou peintes, pourvu qu’elles soient faites à la ressemblance de l’homme ou que les éléments essentiels de sa personnalité soient bien détaillés et reconnaissables; l’image (en volume ou en simples contours) était un réceptacle de pierre (ou de bois, ou de métal) qui pouvait s’animer comme le corps, réceptacle de chair, et dans les mêmes conditions; une image n’est jamais «gratuite» en Égypte, elle est toujours une vie en puissance.

Et les statues, de toute époque, représenteront l’homme au plein de sa vigueur, corps jeunes et élancés, vigoureux mais placides, qui assureront une éternelle maturité, visages réalistes et précis; plus profondément, jeu de volumes et de lignes, mise en proportion, pour faire comprendre la réalité intérieure d’un être: le corps devient un ensemble rythmé de formes qui veut traduire l’essence même de l’homme.

Essai de reconstruction intelligente, sensible, de l’être, plus immédiatement évidente encore lorsque le sculpteur ou le peintre doit travailler sur fond plat: l’artiste se livre alors à une analyse précise des éléments importants, révélateurs de la personne humaine, et recrée celle-ci suivant une synthèse qui se veut efficace; de grands principes la régissent: principe de la combinaison des points de vue (la silhouette classique de l’homme combine la vision frontale: œil, épaules, et la vision latérale: profil, buste, bras et jambes); principe de la suppression des masques, par le procédé des coupes (un objet «contenant», coupé transversalement, révèle son contenu inaccessible à l’œil), celui du décalage latéral ou du décalage vertical (on fait glisser l’un à côté de l’autre ou l’un au-dessus de l’autre des êtres ou des objets qui, suivant la réalité optique, se masqueraient dans l’espace – ou des éléments momentanés et successifs d’une action échelonnée dans le temps); principe de la multiplicité des échelles (qui permet de noter l’importance relative, la hiérarchie des personnages, ou de mettre en valeur tel aspect important d’une scène). Ces principes (entorses conscientes aux lois de la réalité sensorielle) régissent le dessin, mais ne sont à aucun degré contraignants: l’artiste peut choisir délibérément entre les modalités diverses qui s’offrent à lui pour se libérer du relatif et traduire tout l’essentiel et le durable du monde, sa réalité totale et permanente. La démarche de l’artiste, à chaque objet qu’il sculpte, à chaque image qu’il dessine, devient alors celle même du créateur à l’aube du monde: comme le dieu Khnoum façonnait sur son tour à potier chaque petit d’homme à venir, l’artiste égyptien façonnait des êtres de pierre, gages d’une éternelle résurrection. L’artiste-démiurge de l’Égypte ancienne (anonyme – l’exaltation individuelle ne signifiant rien dans son cas) trouve ainsi sa justification la plus haute, et l’art son expression la plus profonde. Les inscriptions, les légendes – pourvu qu’on les prononce – doublaient l’efficacité des images, grâce à la puissance créatrice du verbe, idée commune à tout le domaine sémitique.

Art «utilitaire», peut-être, mais d’une utilité essentielle, puisque médiateur éminent, indispensable, de l’immortalité. Art qui ne recherche pas la beauté pour elle-même, sans doute, mais que la sensibilité de chaque artiste retrouve dans sa joie, en un véritable acte de foi qui exalte les dieux, magnifie Pharaon et chante à l’infini, la beauté et la bonté du petit monde de la vallée.

Un art unique

Les genres, en Égypte, ne sont point catégories absolument tranchées: la statuaire (divine, royale ou privée) faisait toujours partie d’un ensemble architectonique (temple, chapelle royale ou de particulier), elle était conçue pour répondre aux formes et aux dimensions, aux lignes, à la lumière de son emplacement monumental; le traitement des statues par masses géométriques simples, volumes aux contours fermés, soulignait cet accord recherché avec l’architecture en créant un complexe harmonieux. Statues et bas-reliefs étaient peints, aux franches couleurs de la vie. Le bas-relief (peint) et la peinture dépendaient l’un et l’autre d’un dessin initial: arts graphiques par excellence, possédant un identique répertoire de thèmes.

L’évolution de cet art est continue (en dépit de sa continuité traditionnelle, d’essence religieuse), mais de faible amplitude; chaque époque historique présentant des qualités et des nuances de style originales.

Ce déroulement historique est une suite de grandes époques stables, coupées de crises: l’Ancien Empire (2600-2200 av. J.-C.; Ire-VIe dynastie, capitale: This, puis Memphis), suivi par la première période intermédiaire (révolution sociale); le Moyen Empire (2130-1780 av. J.-C.; XIe-XIIe dynastie, capitale: Thèbes, puis Licht), qui se termine au moment des grandes invasions indo-européennes sur le continent asiatique, les Hyksos dominant l’Égypte au cours de la Seconde Période intermédiaire; le Nouvel Empire (1560-1070 av. J.-C.; XVIIIe-XXe dynastie; capitale: Thèbes); et enfin, la basse époque (de 1070 av. J.-C. à notre ère; XXIe-XXXe dynastie) et les dominations macédonienne (les Ptolémées) et romaine.

2. L’Ancien Empire (2600-2200 av. J.-C.)

De la fin de la préhistoire nous sont parvenus de petits bas-reliefs, sculptés sur certains objets usuels ou votifs en ivoire (peignes, manches de couteaux: tel celui trouvé au Gebel el-Arak, et actuellement au musée du Louvre) ou en schiste (palettes à fard): théories d’animaux sauvages ou de guerriers chasseurs, témoins de la vie des tribus alors anarchiquement répandues au long de la vallée. La palette de Narmer (roi unificateur de l’Égypte) est le premier document historique de l’art égyptien proprement dit.

Architecture

Art majeur, apparu seulement à la fin de la préhistoire, l’architecture se développe magistralement sous l’Ancien Empire. Des temples et des palais datant des deux premières dynasties (résidant à This), il reste peu de choses: les matériaux employés étant trop légers (montants de bois, cloisons de sparterie, parfois associés à la brique crue). Seules quelques nécropoles de cette époque subsistent, à Negada, Abydos, Saqqarah: conçues pour durer, elles étaient bâties entièrement en briques crues, sur plan rectangulaire simple, les murs présentant un léger fruit pour assurer plus de stabilité à la construction; les façades sont parfois creusées d’une alternance de saillants et de rentrants, motif très sobre, adapté aux lignes du matériau (briques rectangulaires), appelé improprement «en façade de palais», alors qu’il reproduit le décor, déjà classique, des enceintes de palais royaux.

L’extension véritable de l’architecture commence en Égypte avec l’emploi de la pierre (jusqu’alors utilisée seulement en placage dans quelques tombes royales: Oudimou, Khasekhemoui); elle débute par un chef-d’œuvre, réalisé par le génial architecte du roi Djoser (IIIe dyn.), Imhotep, qui, sur le plateau de Saqqarah, élève la première pyramide, à six degrés, toute de calcaire blanc de Tourah, en tirant admirablement parti, pour la première fois, du site naturel (falaise libyque et vallée). La pyramide elle-même est sise au cœur d’une véritable «ville» (la chapelle ou « temple funéraire» s’adossant à la face nord), comprenant constructions cultuelles, bâtiments d’administration, magasins, s’échelonnant sur la face est, toutes annexes cernées d’une grande enceinte rectangulaire à redans (aire totale: 15 ha). Haute de 61 mètres, la pyramide surmonte une série d’appartements souterrains (creusés en grande profondeur, à 28 mètres) et le caveau (en granit d’Assouan). Novateur dans le domaine des formes architecturales, Imhotep le fut aussi en ce qui concerne la nature des supports employés, de valeur encore décorative, puisque solidaires de la paroi: le goût pour la colonne cannelée sans chapiteau (style «protodorique») et la colonne à chapiteau papyriforme fut durable.

Sous les IVe, Ve et VIe dynasties, à Gizeh notamment, la pyramide s’agrandit et, renonçant aux gradins, revêt la forme classique. Les annexes s’échelonnent de l’ouest à l’est: temple funéraire, allée couverte, temple de la vallée (de granit et d’albâtre chez Khephren – où les supports affirment leur indépendance nouvelle: énormes piliers monolithes de granit [4,10 m de hauteur] soutenant des architraves gigantesques). Le caveau royal, au sortir de couloirs complexes, est situé, chez Khéops, à 42,28 mètres au-dessus de la base de la pyramide, au cœur de la superstructure. Les colonnes à chapiteau palmiforme apparaissent dans le temple funéraire d’Ounas, à Saqqarah (Ve dyn.), celles à chapiteau lotiforme dans le tombeau privé de Ptahshepses (Abousir, Ve dyn.).

L’architecture funéraire privée est surtout illustrée par les grands mastabas de calcaire, tel celui du musée du Louvre, dont la silhouette même – un «banc» – rappelle le tertre primitif qui recouvrait simplement le corps, et dont les formes (plan rectangulaire, murs avec fruit) s’inspirent de celles liées à l’emploi de la brique crue. Ils se groupent en quartiers réguliers, à Saqqarah et à Gizeh, autour des pyramides royales: la chapelle, accessible aux vivants pour les rites du culte funéraire, surplombe le caveau aménagé au fond d’un puits, où le corps repose dans un sarcophage de pierre, don du souverain à un grand courtisan. Le défunt est en contact avec la chapelle par l’intermédiaire de la stèle fausse-porte, sculptée sur le mur ouest de celle-ci, lieu magique de passage du monde des morts au monde des vivants.

L’obélisque, encore en blocs de pierre appareillés, apparaît sous la Ve dynastie dans les temples solaires à ciel ouvert (ruines de celui élevé par Néouserrê à Abou-Gorab): massif, il est placé sur un socle rectangulaire.

Statuaire

Les statues proviennent des temples funéraires royaux ou des serdab (couloir sans issue réservé aux statues du défunt dans les mastabas). Haute majesté des figures royales de la IVe dynastie: Khephren trônant (Le Caire), dont la tête est enserrée en protection par les ailes éployées du faucon dynastique Horus (alliance de volumes cubiques et harmonie des lignes de la coiffure et des ailes) – ou lion à tête humaine (sphinx), taillé dans un rocher de Gizeh, défenseur de la nécropole, éminent roi-dieu; puissantes triades de Mykérinus (Le Caire, Boston): l’élancement des volumes cylindriques fermés créant une évidente impression de grandeur et de dignité. Portraits privés hautement individualisés: si les corps sont traités assez conventionnellement (toujours suivant la loi de frontalité, qui «divise» verticalement chaque sujet traité en deux parties symétriques et complémentaires), les visages sont sculptés avec un grand souci de réalisme: buste de Ankh-ka-ef (Boston) dont la tête, très modelée, a toute la plasticité de la chair vivante; tête de femme (Boston), curieusement négroïde et dont la structure, dépouillée, est évoquée par ses lignes essentielles; statues de Rahotep et Nofret (Le Caire): opposant savamment les formes anguleuses et puissantes de l’homme, visage viril, nez fort, lèvres épaisses qu’ombre la moustache, à celles enveloppées et rythmées de la femme, qui se succèdent en une harmonie souple et parfaite jusqu’à la tête admirablement belle; opposition soutenue par les couleurs: rouge foncé du corps de l’homme, jaune et blanc de la femme aux étincelants bijoux rouges, bleus et verts, l’ensemble renforcé par l’éclatante blancheur des trônes.

Sous la Ve dynastie, à côté de quelques statues conventionnelles (Ti, Le Caire), apparaît une tendance réaliste, plus humaine, voire intimiste: statue de Ka-aper (l’obèse Cheikh-el-Beled , Le Caire); groupes familiaux: l’émouvant couple du Louvre, dont la femme, plus petite, enserre avec une tendre gaucherie, le corps de son mari, dont le visage, à demi souriant, est extraordinaire de vie. Cette tendance s’accomplit sous la VIe dynastie, tant dans la statuaire royale – statue de schiste de Pépi Ier, à genoux, faisant offrande (Brooklyn); statues d’albâtre de Pépi II, enfant, sur les genoux de sa mère (Brooklyn), ou, accroupi, un doigt dans la bouche, bras grêles, ventre un peu ballonné de l’enfance (Le Caire) – que dans la statuaire privée: statue de prisonnier libyen, dont l’attitude et le visage tourmenté trahissent toute la tension intérieure et la résignation inquiète (New York).

De la Ve dynastie datent les premiers scribes accroupis, triomphe de la composition pyramidale suggestive.

Arts graphiques

Foisonnement des scènes de la vie quotidienne, en bas-reliefs peints, sur les murs des chapelles des mastabas: travaux agricoles (du labourage à la moisson), élevage dans les prairies qui bordaient la vallée (bovins, chèvres, volailles), apport au maître et à sa famille des produits de son domaine; chasse et pêche sur le Nil – travaux des artisans: potiers, menuisiers, sculpteurs, orfèvres – distractions et divertissements: promenade en chaise à porteurs, concerts et danses. L’Ancien Empire a fixé les grands thèmes des arts graphiques égyptiens et les a traités avec un sens inné de l’observation, une grande sûreté de composition, un humour léger.

On connaît quelques bas-reliefs royaux: archaïques (cf., au Louvre, la stèle du roi Djet, Ire dyn.; déjà classique par le sens des formes et l’équilibre recherché des lignes et des masses); d’autres proviennent des temples funéraires de la Ve dynastie et illustrent surtout des thèmes religieux ou historiques, telle l’image de ce prisonnier libyen frappé par Néouserrê: détails précis et lignes d’ensemble décrivent le combat contre la mort; le large torse musclé d’athlète s’arc-boute dans un dernier sursaut, effort que rappelle en mineur la ligne parallèle du bras droit qui s’affaisse, mais se maintient encore par la pointe des doigts; l’arc formé par le corps s’accomplit (la ligne circulaire souligne l’inutilité de la lutte, le piège qui se referme), mais, révélant la lutte prolongée, se dresse encore la haute verticale de la jambe gauche.

La peinture pure (sur enduit sec – la technique de la fresque n’a jamais existé en Égypte) n’est représentée sous l’Ancien Empire que par un très petit nombre d’œuvres: notamment Les Oies de Meidoum (début IVe dyn., Le Caire).

Arts mineurs

D’un beau poli et d’un travail achevé, de formes souvent originales, est l’importante «vaisselle» de granit, d’albâtre ou de schiste, retrouvée dans les souterrains de la pyramide à degrés. Parures et meubles (chaise à porteurs de la reine Hetep-her-es, IVe dyn.) illustrent ensuite les arts mineurs de l’Ancien Empire.

3. Le Moyen Empire (2130-1780 av. J.-C.)

Architecture

Après deux cents ans de troubles, l’Égypte est à nouveau unifiée par Mentouhotep III, originaire de Thèbes, et l’architecture bénéficia tout d’abord de la prospérité revenue.

Des temples et reposoirs, construits alors, il ne reste que de nombreux vestiges isolés – car, d’une part, l’État appauvri utilisa des matériaux moins coûteux, mais plus légers: calcaire, parfois même brique crue pour le gros œuvre (sanctuaire-forteresse de Sésostris III, à Medamoud) et, d’autre part, les pharaons du Nouvel Empire détruisirent systématiquement ces édifices pour construire eux-mêmes à moindres frais. D’après le pavillon de couronnement de Sésostris Ier, à Karnak, reconstitué par H. Chevrier, il paraît que l’architecture du Moyen Empire, de taille plus réduite, était essentiellement caractérisée par l’élégante justesse des proportions. Cet édifice périptère, bâti sur plan rectangulaire, est constitué par une cella placée sur une estrade (à laquelle deux escaliers donnaient accès vers l’est et vers l’ouest) et entourée d’un promenoir à piliers carrés. Quelques formes architecturales apparaissent qui se développeront au Nouvel Empire: deux obélisques monolithes de granit, en «aiguilles», sont dressés en avant des temples et précédés d’une allée de sphinx – des statues royales osiriformes s’adossent aux piliers des sanctuaires, prototypes des piliers osiriaques.

Parmi les monuments funéraires royaux qui nous sont parvenus, le plus original est celui des Mentouhotep II et III (XIe dyn.), à Deir el-Bahari, avec son architecture en terrasses, dont s’inspirera directement l’architecte d’Hatshepsout. Ceux de la XIIe dynastie, retrouvés au Fayoum, sont classiques: temples funéraires identiques à ceux de l’Ancien Empire, tombe-pyramide en brique. Les tombes privées sont parfois des mastabas, mais, souvent, en province, les nobles font creuser leur chapelle en hypogée: vestibule et salle funéraire s’ornent alors de colonnes cannelées, papyriformes, lotiformes, solidaires de la falaise, où étaient creusés le caveau et ses dépendances.

Statuaire

Avec l’apport thébain, une école de sculpture, plus durement réaliste, plus vigoureuse, apparaît; galerie de portraits royaux caractéristiques de la XIIe dynastie (Sésostris III, Le Caire, New York; Amenemhat III, Berlin): visages anguleux, énergiques, pommettes saillantes, rides accusées, nez long et mince, yeux enfoncés sous une forte arcade sourcillière, lèvres fines, grandes oreilles, expression noble et virile. Ce type se retrouve dans les portraits privés, soit qu’ils aient été sculptés dans les ateliers royaux, soit qu’ils veuillent ainsi témoigner du loyalisme envers le roi (Khertihotep, Berlin; Amenemhat-ankh, Louvre).

Mais l’école memphite demeure, qui continue les traditions des portraits un peu idéalistes et conventionnels du début de la Ve dynastie: Sésostris Ier trônant (Licht, Le Caire), Amenemhat III jeune (Hawara, Le Caire): visages souriants, corps lisses, expression douce, presque efféminée – académisme certain.

Une influence asiatique (hyksos) se révèle dans certaines statues provenant de Tanis: Amenemhat III en sphinx (Le Caire), Nils pourvoyeurs d’offrandes (Le Caire).

Apparition de la statue-cube, totalement architecturale dans sa structure et ses lignes (Sésostris-Senebefni, Brooklyn).

Les difficultés économiques expliquent la faveur accordée aux statuettes de bois ou de cuivre (Isis allaitant Horus , en un geste tendrement maternel, Berlin), et le goût pour les modèles en bois qui, matérialisant les scènes de la vie privée, se substituaient, parfois en grand nombre, aux images murales des chapelles.

Arts graphiques

Les scènes religieuses, sculptées sur les piliers du pavillon de couronnement de Sésostris Ier, sont un bon exemple de cette sculpture royale traditionnelle, un peu froide mais achevée – dans la tradition poursuivie de l’Ancien Empire –, qui recherche aussi l’effet décoratif.

Plus animés sont les bas-reliefs de certaines tombes privées: dans les chapelles de Meir, les sujets sont traités avec beaucoup de réalisme et d’humour (Le Bouvier des marais , La Conversation des mariniers , Les Animaux du désert... ).

La grande nouveauté est le développement de la peinture pure: dans les tombes (notamment à Beni-Hasan, où deux tendances stylistiques apparaissent: style cursif, recherchant la vérité d’expression [scènes de jeux, d’exercices physiques, épisodes militaires]; style décoratif, ayant un éminent souci de perfection et de beauté des lignes: Les Oiseaux dans le sycomore est une composition d’un savant équilibre que rehausse un chatoiement harmonieux de couleurs); sur les sarcophages (frises d’objets utiles au mort).

Arts mineurs

Le Moyen Empire marque le triomphe de la joaillerie égyptienne: colliers, diadèmes, bagues, bijoux forment un inappréciable trésor; les pectoraux royaux constituent un ensemble d’une infinie richesse, d’or finement ciselé serti de pierres précieuses, à cadre architectural ou résolument triangulaire; motifs religieux et symboliques, ils révèlent également de la part des orfèvres une maîtrise parfaite de la ligne et de la couleur (musées du Caire et de New York).

4. Le Nouvel Empire (1560-1070 av. J.-C.)

Le Nouvel Empire est la période d’accomplissement de la civilisation égyptienne: sur le plan politique (c’est l’époque de l’expansion en Afrique – jusqu’à la cinquième cataracte du Nil –, en Asie – jusque sur l’Euphrate –, en Égée, et du rassemblement d’un grand Empire riche et divers, aux innombrables ressources), comme sur le plan économique et dans le domaine artistique.

Architecture

L’architecture, aidée par des ressources puissantes, bâtit à nouveau en taille colossale, et ses constructions, qui disposent maintenant de l’immense «champ» thébain, s’étendent sur d’impressionnantes aires et s’adaptent résolument au site nouveau.

À Thèbes, sur la rive droite du fleuve, s’élèvent les châteaux des dieux; sur la rive gauche, les demeures des morts. À l’est, le temple de Louxor, bâti par Aménophis III à la gloire d’Amon; à quelques kilomètres plus au nord, le «monde» de Karnak, où les temples s’enchevêtrent sur la plus grande scène religieuse du monde: grand temple d’Amon, commencé par Aménophis III, dont la salle hypostyle (élevée sous Séti Ier et Ramsès II) couvre, à elle seule, une surface de 5 000 m2, pour une élévation de 24 mètres. Les sanctuaires divins acquièrent alors leur plan classique: pylône à deux tours rectangulaires (plus étroites au sommet qu’à la base) souvent précédé d’une allée de sphinx, cours ouvertes à colonnes papyriformes ou à piliers osiriaques, hypostyle à une ou plusieurs nefs, enfin la partie fermée du temple: comprenant les appartements du dieu, dont la pièce essentielle était la chapelle, avec la statue divine (portative) dans le naos; sol et plafonds se rapprochant progressivement, l’un s’élevant, les autres s’abaissant, à mesure que l’on s’avançait vers la chapelle: jeu de lumière (de l’étincellement du jour à l’ombre mystérieuse qui entourait le lieu saint), mais aussi allusion théologique au tertre surélevé sur lequel le démiurge apparut au premier jour.

À l’ouest, à la limite des cultures riveraines et du désert, les temples funéraires royaux: temple funéraire d’Hatshepsout à Deir el-Bahari, qui, sur le sable roux, échelonne les portiques de ses trois terrasses superposées, jusqu’au flanc de la falaise à laquelle il s’adosse et dont il constitue, en un grandiose ensemble «naturel», comme l’accès monumental. Les tombes royales (caveaux) sont, à partir d’Aménophis Ier, séparées du temple funéraire et creusées dans la falaise même (qui joue le rôle protecteur de l’ancienne pyramide), au cœur d’une gorge aride, la vallée des Rois: quelques salles à piliers, décorées de bas-reliefs et de peintures, précèdent un couloir descendant et des escaliers consuisant à la «chambre d’or» où était le sarcophage. Pour les tombes civiles (on en a retrouvé plus de 470 sur la rive gauche), la superposition immédiate chapelle-caveau (tous deux en hypogée) demeure la règle (tradition du Moyen Empire), les chapelles pouvant être précédées de vestibules ou galeries à portiques soutenus par des piliers ou des colonnes, l’ensemble décoré de vives peintures; au fond, dans une niche, la statue du mort.

Tout au long de la vallée, les temples se multiplient: à Abydos, temple consacré par Séti Ier à Osiris; à Abou Simbel (autre exemple d’adaptation au site), Ramsès II fait élever deux temples rupestres (l’un à la gloire du dieu solaire, l’autre pour Hathor), creusés, face au Nil, dans le grès même de la montagne occidentale; à la façade du grand temple s’adossent deux colosses royaux hauts de 20 mètres.

Des temples-palais (celui de Ramsès III à Medinet-Habou) empruntent leurs enceintes crénelées à l’architecture militaire, voire, aux forteresses syriennes, le migdol à trois étages. Mais les palais mêmes (en briques crues) ont été détruits.

Statuaire

L’art du Nouvel Empire est lié étroitement à l’histoire et à son déroulement; la statuaire aussi en témoigne, qui relève d’abord du style traditionnel d’inspiration memphite: élégant allongement des corps harmonieux, contours «fondus» des représentations de la reine Hatshepsout trônant (New York), de Thoutmosis III en offrant (Le Caire); mais les types sont différents: voir l’admirable réalisme du visage de Thoutmosis III, le conquérant de l’Empire, et la majesté lyrique de son attitude triomphale (Le Caire). À partir de Thoutmosis IV, surtout sous Aménophis III, l’Égypte s’abandonne à la jouissance des richesses acquises et s’ouvre largement aux influences étrangères, conséquence de son hégémonie dans le Proche-Orient: les artistes de la cour thébaine développent un style aux lignes distinguées, mais souples et molles – grâce, parfois languide, des innombrables statuettes féminines en bois (Louvre, Le Caire, Berlin); le raffinement des couturiers (qui créent les longues tuniques transparentes finement plissées à courtes manches), la science des perruquiers, l’art des bijoutiers trahissent une période d’un luxe exceptionnel, souvent typiquement oriental (statue d’Aménophis III à la robe asiatique, Le Caire). Réagissant contre cet amollissement, c’est l’intermède d’Aménophis IV, dont le court règne de quatorze ans va vouloir tout bouleverser au nom d’une idéologie qui refuse tout académisme et repousse toute tradition, pour prêcher violemment le libre retour à la nature; épisode unique, auquel nous devons ces extraordinaires statues-caricatures du roi, exhumées à Karnak par Chevrier: masque chevalin, bras grêles, poitrine squelettique, ventre ballonné, hanches féminines, qui trahissent vraisemblablement des particularités physiques du souverain, mais aussi son souci de les accentuer maladivement. Au style «adouci» de la période, nous devons ces émouvants portraits de Néfertiti, dont la beauté grave justifie ce désir de «naturel» (Le Caire, Berlin, Bruxelles). Contre ces excès, la tradition l’emporte à nouveau: mais une certaine langueur «amarnienne» transparaît encore sur le visage de Toutankhamon (Le Caire) ou dans l’attitude du général-roi Horemheb (New York).

Avec la XIXe dynastie et le retour des guerres victorieuses, le style statuaire retrouve quelque grandeur plus dépouillée: noblesse de Ramsès II (Turin), dont la figure témoigne d’une grande virtuosité d’exécution; mais la technique impeccable, le sourire un peu figé de ces œuvres d’un art achevé touchent moins. L’art égyptien achève son premier grand cycle: empâtement et lourdeur des statues de Ramsès III.

Arts graphiques

Âge d’or de la peinture égyptienne, le Nouvel Empire unit, dans un style commun et une mise en œuvre simultanée, bas-relief peint et peinture pure – vaste imagerie polychrome, relative, dans les tombes, non plus seulement à la vie quotidienne des hommes et à l’économie de la vallée, mais aussi aux événements historiques et politiques du vaste Empire. Les «styles» se diversifient selon les époques, suivant le mouvement historique déjà discerné, mais aussi suivant le génie individuel de personnalités d’artistes très nettes.

Archaïsme modéré et tradition assouplie des débuts de la XVIIIe dynastie: netteté et élégance des lignes, mais disposition des sujets plus sensible, caractéristiques aussi bien du défilé des porteurs d’offrandes du tombeau d’Amenemhat (no 82) – le centre léger de la composition, sur fond gris-bleu, est constitué par une délicieuse gazelle d’un rose tendre, ventre blanc, cornes bleu pâle, rond noir de l’œil; sujet émouvant, d’un dépouillement aérien, entre deux personnages de tradition – que de la grande série des bas-reliefs peints du temple funéraire d’Hatshepsout, relatant avec un vif souci de vérité et un goût certain de dépaysement une expédition au pays de Pount (Somalie) en quête des précieux arbres à encens.

Grande époque de la peinture sous les règnes d’Aménophis II et de Thoutmosis IV: grâce et souplesse des attitudes, liberté sensible de la composition, joie des couleurs (dont les nuances légères deviennent moyen d’expression indépendant). Le maître de Kenamon (qui décora la tombe no 95 à Thèbes) se révèle dessinateur virtuose de la courbe, coloriste génial (inventeur du dégradé), qui, par lignes et tons, compose de véritables poèmes: telle La Mort de l’ibex (admirable fragment d’une scène de chasse au désert), qui oppose rudement la longue courbe accentuée du corps, qui déjà s’abandonne à la terre, à la brusque verticale ascendante des pattes antérieures et du cou de l’animal, qui livre un dernier combat contre le chien qui déjà lui happe la gorge; la ligne haute traduit superbement la férocité du combat et l’ultime élan de vie et de dignité de la bête au corps vaincu; dans un ensemble de tons ocres et jaune vif, qui oppose à la cruauté de la mort l’intensité vivante de la lumière. – Goût du pittoresque chez le maître de Nakht (tombe no 52) et le maître de Menna (tombe no 69), aux coloris éclatants, aux sujets humains débordants de vie; chez Nakht, Le Repos des moissonneurs est un tableau de genre, émouvant et sensible: à l’heure chaude du jour, un moissonneur s’est endormi à l’ombre d’un sycomore (la courbe complice d’une branche épousant parfaitement l’arc du dos de l’homme qui se repose à l’ombre), cependant qu’appuyé, droit, contre le tronc, un flûtiste joue indolemment dans cette nature amie; scène «virgilienne», jeu de lignes et d’attitudes parfaitement clair et pur. – Exotisme du maître d’Horemheb (tombe no 78): son dessin, hautement décoratif, réduit aux lignes essentielles, campe plaisamment Nubiens et Nubiennes, et fait vibrer le corps frénétique du danseur nègre. – Avec le maître de Nebamon, la peinture égyptienne atteint à un sommet; La Chasse dans les marais est un merveilleux tableau (actuellement au British Museum): opposant, dans la partie droite, les calmes et solides verticales qui définissent l’ordre humain, stable et discipliné, autour du maître et de sa famille (la flore prend, dans les bras de la femme, la forme sage d’un savant bouquet monté), au mouvement tourbillonnant, indescriptible (dans la partie gauche), de la flore et de la faune sauvages tout en courbes, en spirales, en obliques; la liaison étant faite entre les deux parties par la vaste horizontale (trait d’union) des bras haut levés du chasseur: lignes intelligentes qui traduisent l’ordre du monde, soutenues par une polychromie sans rivale, utilisant trois nouveaux tons de gris, le carmin, le rose..., sachant traduire l’éclat nacré des ailes de papillons ou la luminosité subite animant une corolle.

Sous Aménophis III, l’art du bas-relief à nouveau prospère; voir notamment (outre le temple de Louxor) la série qui décore la tombe du vizir Ramose: le charme certain, la beauté pure des visages et des corps ne vont pas sans une certaine mièvrerie, parfois une délicatesse un peu efféminée.

La volonté amarnienne de «retour à la nature» se traduit dans de très beaux bas-reliefs: champ de blé, vignes aux raisins mûrs (coll. Schimmel, New York), parterre de fleurs (Brooklyn Museum), et dans des peintures d’une grande hardiesse: tableau monochrome des Petites Princesses au coussin rouge (utilisant uniquement le vermillon et le rouge mat); un martin-pêcheur, en vol plongeant dans les marais, est traité uniquement en noir et blanc sur fond vert sombre.

À la fin de la XVIIIe dynastie, c’est l’école memphite qui renoue avec la tradition en créant les bas-reliefs qui décorent la tombe du général-roi Horemheb (Louvre, Leyde, Brooklyn, Le Caire). Sous les Ramessides, les styles se diversifient suivant la nature et l’origine des œuvres d’art; art idéaliste des scènes religieuses, au temple d’Abydos notamment: pureté absolue des lignes et recherche à l’extrême d’une harmonie suggèrent la sérénité et la pérennité d’un monde éternel. Savante composition et fougue superbe des scènes royales: Ramsès III sur son char, à la chasse aux taureaux sauvages, ou, emporté dans un élan guerrier, massacrant les Asiatiques (Medinet-Habou). Vivacité et beauté de la décoration des tombes privées: le maître d’Ouserhat (tombe no 51), grand coloriste, utilise savamment dégradés et tons fondus, prête aux visages et aux corps une langueur charmante. La décadence s’amorce; une certaine négligence dans le dessin, quelques bariolages de couleur, le passage du pittoresque au vulgaire marquent l’art de la fin du Nouvel Empire. On notera toutefois la fraîcheur de la spontanéité des esquisses d’artistes sur ostraca (tessons de calcaire).

Arts mineurs

L’afflux des richesses contribue à l’intense développement des industries de luxe: en témoignent, notamment, le mobilier des tombes (telle celle de Toutankhamon), le répertoire varié et précieux des objets de toilette (réceptacles à fard, miroirs) et le merveilleux trésor de la joaillerie.

5. La basse époque (de 1070 av. J.-C. à notre ère)

Époque troublée par des luttes intérieures et de nombreux changements de dynasties, appauvrie par les invasions étrangères: Assyriens, Perses, notamment, précédant les Ptolémées et les Césars – mais qui développa des formes d’art très caractéristiques.

Architecture

C’est sous les Nectanébo, derniers souverains indigènes (XXXe dyn.), que renaît la grande tradition architecturale; dans l’architecture funéraire privée apparaissent les chapelles en forme de temples (tombeau de Pétosiris, à Tounah). Mais ce sont les temples ptolémaïques et romains de Philae, d’Edfou (130 m de côté, 65 m de façade), de Karnak et de Denderah qui sont les derniers grands monuments des Égyptiens: bâtis sur plan traditionnel, mais avec quelques innovations (murs d’entre-colonnement entre les supports du pronaos, chapiteaux végétaux composites); le complexe de Philae comprend cinq temples: l’élégant «kiosque» de Trajan est une adaptation originale des édifices périptères du Moyen et du Nouvel Empire.

Statuaire

À partir de la XXVe dynastie, d’origine éthiopienne, l’Égypte connaît une renaissance artistique. Un courant réaliste envahit les ateliers royaux, qui s’appliquent à traduire les particularités physiques des nouveaux souverains et des grands fonctionnaires: leurs traits négroïdes, leur vigueur parfois brutale apparaissent avec vérité (voir, notamment, les portraits de Taharka: Le Caire, Leningrad, Merawi [Soudan]) et les statues du gouverneur de Thèbes, Montouemhat (Le Caire). Dans le même esprit soucieux de vérité, nous devons aux sculpteurs de la XXVIe dynastie (qui expulsa les Éthiopiens et les Assyriens – capitale: Saïs) toute une série de statues de prêtres aux visages admirables: l’originalité de l’expression, l’étude très poussée de l’anatomie de la face témoignent d’une parfaite connaissance du «modèle» et d’une grande virtuosité technique (Boston, Berlin, Louvre). Noter aussi le goût caractéristique pour certains matériaux: basalte ou brèches, pierres noires et dures, permettant un beau poli; le bronze est couramment employé pour les nombreuses figurines votives des temples. En opposition avec l’école réaliste, d’autres artistes créèrent un type humain conventionnel où, dans le traitement du corps, tout est arrondi et fondu, le visage idéalisé présentant ce sourire figé dont le type sera durable jusque sous les Ptolémées (Nekhtorheb, Louvre).

Arts graphiques

La grande tradition murale de la peinture se perd, avec l’emploi de supports plus petits (stèles de bois, gaines de momies). En revanche, le bas-relief prospère; souverains saïtes, Ptolémées, Césars furent bâtisseurs de grands temples dont toutes les parois sont incisées de reliefs, qui se rattachent, par leur style, à l’école idéaliste: molle anatomie du corps, boursouflés à l’époque romaine, visages conventionnels. L’architecture funéraire privée offre des tableaux plus intéressants: reprise des thèmes traditionnels depuis l’Ancien Empire (moisson, concert...) avec des éléments novateurs (noter le manteau macédonien du seigneur écoutant un joueur de harpe [Berlin], celle-ci, trigone, d’origine asiatique, le coq qui participe à la scène ayant été importé par les Perses). Mais, bientôt, rien qu’à voir le vestibule du tombeau de Pétosiris, on devine une influence de l’art grec: si les principes du graphisme égyptien demeurent, les thèmes s’hellénisent (Réunion de la famille autour du tombeau à l’occasion d’un sacrifice offert au mort héroïsé – Offrande d’un éléphant ) et le style même (Jeune Homme nu du tableau des vignerons – Jeune Femme au coq ). Influence peu durable. Statues romaines plus vigoureuses, mais œuvres bâtardes, fruit de l’application de principes qui bientôt vont perdre leur raison même d’exister.

Arts mineurs

On a retrouvé des masques royaux précieux (voir le masque d’or du roi Sheshank, à Tanis). Mais objets de toilette, bijoux dégénèrent lentement à partir de la XXVe dynastie.

Art profondément national, d’essence religieuse, l’art égyptien ne pouvait se concilier avec d’autres expressions artistiques, et il ne put survivre au christianisme copte. «L’art égyptien a pour point de départ des intentions utilitaires, pour mission la défense de certains intérêts liés au système politique et social de la monarchie pharaonique et, surtout, à ses croyances religieuses. Détruisez ces croyances, ruinez ce système, tout l’édifice de la symbolique décorative perd sa raison d’être, les architectes, les sculpteurs et les peintres n’ont plus qu’à fermer leurs ateliers ou à changer de style. Ainsi la grammaire élaborée avec tant de science et de goût par les artistes qui rendaient hommage à Amon-Rê ou à Osiris cessa d’être en usage quand ces dieux perdirent leurs derniers fidèles. Inutile, parce qu’inassimilable sur le plan du dogme au moins autant que sur celui de l’art, elle n’a rien transmis de ses secrets aux hommes qui, dans l’Égypte nouvellement convertie, élevèrent et décorèrent les premières églises» (J. Sainte Fare Garnot).

Encyclopédie Universelle. 2012.

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